François-Michel Lambert est député (Liberté Écologie Fraternité) des Bouches-du-Rhône. Il est membre de la Commission Développement durable et Aménagement du Territoire de l’Assemblée nationale et Président de l’Institut National de l’Economie Circulaire. Issu du Centre de Recherche en Transports et Logistique d’Aix Marseille Université, il a exercé des responsabilités pendant quinze ans dans le privé. Elu député en 2012, il est nommé en 2015 Président de la Commission nationale Logistique et a remis à ce titre au Gouvernement, en mars 2016, la proposition de stratégie « France Logistique 2025 ».
Quelle place la logistique occupe-t-elle aujourd’hui dans le débat parlementaire ?
Parler de logistique à l’Assemblée nationale est une mission de bénédictin. Elle est trop souvent perçue comme un sujet purement technique et non comme un sujet organisationnel. Par exemple, lorsque j’ai voulu intégrer la logistique dans la loi d’Orientation des mobilités, on m’a répondu « elle y est : on y parle de logistique urbaine ». Pourtant, les palettes n’arrivent pas par magie à l’entrée des villes ! La logistique urbaine est la résultante d’un système beaucoup plus large, qui est trop souvent totalement ignoré à l’heure actuelle. Je suis issu du CRET-LOG, un centre de recherche où j’ai été formé et où je suis resté quelques années. On y définit la logistique comme « le pilotage des flux physique et financiers par les flux d’information ». On voit donc que la qualité de l’information et de son traitement permet en grande partie d’optimiser les flux physiques et d’améliorer la performance économique. La logistique est un impensé politique.
Qu’attendez-vous de la mise en place imminente du Comité Interministériel de la Logistique (CILOG) ?
Comme nous l’avions exprimé en 2016 dans la proposition de stratégie « France Logistique 2025 », il faut absolument disposer d’une incarnation permanente auprès du Gouvernement sur ce sujet de la logistique. Aujourd’hui, la logistique est enclavée entre l’Industrie et les Transports. Elle devrait obtenir a minima un Délégué interministériel, entouré d’une petite équipe d’experts. Cette dernière pourrait conseiller aussi bien le Gouvernement que les hauts-fonctionnaires.
La Supply Chain, ce n’est pas seulement le camion et l’entrepôt visibles au Journal de 20 heures. Si les pouvoirs publics veulent améliorer la performance logistique de la France, il ne doivent donc pas être dans l’incantation mais réellement mettre en place les conditions nécessaires. En 2016, la stratégie que nous avions dessinée reposait essentiellement sur deux éléments clés :
- la montée en compétences sur le sujet logistique
- l’accélération de la numérisation et de l’acquisition d’outils adaptés, en particulier pour les petites structures (TPE, PME, ETI)
Mais avant tout, il faut avoir la compréhension que la logistique est une opportunité pour répondre aux enjeux climatiques et améliorer la compétitivité de l’économie. Cela passe par une représentation permanente de ces sujets au plus haut sommet de l’Etat, et non plus par de simples rendez-vous ponctuels. Cela passe aussi par la mise en œuvre de moyens ad-hoc.
France Logistique n’est-elle pas déjà une incarnation de la filière auprès des pouvoirs publics ?
Toute initiative qui créée de la visibilité est la bienvenue mais ce n’est pas suffisant. Dans cette période où l’on doit revitaliser l’économie, favoriser des relocalisations, répondre aux enjeux environnementaux… il est urgent d’avoir un cadre et une trajectoire nationale en faveur de la logistique.
France Logistique est une association de droit privé, dont les parties prenantes ont leurs propres intérêts. Elle n’a pas vocation à être au service d’une politique publique. Vous comprenez bien qu’il est impossible de confier au secteur privé la mise en place de fiscalités adaptées ou de politiques environnementales nationales. S’il s’agissait d’un établissement public comme l’ADEME – qui est le bras armé du gouvernement pour la Transition écologique – nous aurions alors une force qui couvre l’ensemble des sujets et poursuit un intérêt public.
Y-a-t-il des exemples à chercher à l’étranger ?
Depuis des années, l’Allemagne met la logistique au service de la performance de son économie. Nous pouvons tout aussi bien la mettre au service de la performance environnementale ! Deuxième exemple : le Maroc dispose d’un ministre chargé de la logistique, d’un pôle d’experts et d’une stratégie de développement territorial qui permet de créer de l’attractivité économique. Enfin, plus près de nous, la région Ile-de-France a mis en place une stratégie sur la logistique. Mais malheureusement, les marges de manœuvre d’une région sont assez faibles dans un pays centralisé comme le nôtre.
La logistique doit être un outil d’attractivité. Pour cela, il faut agir au niveau national. Je vous donne un exemple : le gouvernement de Manuel Valls avait instauré un suramortissement sur la robotique. Nous aurions aussi pu y intégrer les logiciels informatiques de gestion : cela aurait accéléré l’introduction de ces outils dans nos PME et ETI. Une étude estime que nous pourrions créer 20 à 60 milliards d’euros d’économie avec une meilleure coordination des flux et des stocks, permise par les systèmes informatiques de gestion. Pourtant, aucune déclinaison opérationnelle de cette opportunité n’a été proposée… C’est le type de décision politique qui pourrait être recommandé par un Comité interministériel de liaison.
Comment combiner des objectifs parfois contradictoires de productivité et de développement durable ?
Il y a une chose dont je suis convaincu : si le politique définit des objectifs à atteindre, notamment environnementaux, l’économie mettra en place des réponses pour s’adapter naturellement à ces objectifs. C’est un peu comme le cycle de l’eau : mettez un canal ou un barrage, l’eau trouvera malgré tout son meilleur chemin vers la mer.
En tant qu’écologiste, je pense que la logistique est un extraordinaire levier pour mettre en œuvre les objectifs économiques et environnementaux. Le gouvernement doit consulter les experts de la logistique pour définir avec eux les mesures à mettre en place. S’il souhaite imposer des cibles de réduction de CO2, de taux d’occupation des camions… il devrait s’adosser à des logisticiens pour savoir comment adapter le système organisationnel en ce sens.
On voit beaucoup trop de responsables politiques combattre la logistique comme si c’était purement une nuisance, simplement parce qu’ils aperçoivent des camions et des entrepôts. Ils devraient au contraire s’en faire une alliée pour atteindre leurs objectifs !
Par exemple, on entend beaucoup dire qu’on va résoudre le problème de la pollution et du trafic en mettant les camions sur des trains. Ce n’est pas possible. Quand vous connaissez les coûts colossaux, la rigidité du transport par rail, la structuration de nos territoires… Demander 15 milliards d’euros d’investissement pour faire passer la part modale du fret ferroviaire de 9 à 19 %, c’est non seulement impossible mais aussi absurde. Mieux vaut affecter cet argent à l’optimisation du transport routier : gagner 20 % de productivité avec 15 milliards, c’est possible ! L’amélioration des camions, l’utilisation de systèmes informatiques, la mutualisation des livraisons, l’augmentation des taux de chargement… les solutions sont nombreuses et leur impact est bien plus significatif !
Si le mode routier est sous-performant, il est possible de mettre en place des mesures pour le corriger. Par exemple, si on avait l’exigence politique d’arrêter de faire circuler des camions à moins de 50 % de taux de chargement, des mécanismes se mettraient en place immédiatement pour un fonctionnement plus vertueux. Augmenter le taux de chargement des camions, ça permet de réduire le trafic : c’est aussi simple que ça. Pourtant, ce discours est très difficilement audible.
Comment réussir la concertation entre acteurs économiques et politiques ?
Le politique fournit un cadre. Affronter les professionnels en interdisant les camions ou les constructions n’a aucun intérêt ; au contraire, le politique doit s’appuyer sur les experts pour mettre en place le meilleur système qui réponde aux objectifs définis. C’est comme cela que les professionnels feront le choix d’un entreposage plus vertueux et de moyens de transport plus durables.
Il y aura toujours des camions et des entrepôts. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être optimisés pour abaisser les émissions polluantes, donner de la marge économique supplémentaire aux petits acteurs locaux, permettre des relocalisation…
Que pensez-vous des polémiques actuelles autour d’Amazon ?
Comme l’a dit Michel-Edouard Leclerc, il faut déjà qu’Amazon paie ses impôts en France. Pour le reste, aider les commerces de proximité ne peut pas passer par une interdiction du commerce en ligne. L’Etat doit mettre les moyens pour favoriser le Click and Collect, accompagner la numérisation et garantir aux petits acteurs un fonctionnement logistique efficace. Une bonne idée consiste à s’appuyer sur des acteurs semi-publics comme Urby du groupe La Poste. Plutôt que d’injecter des subventions à la pelle et de mettre un secteur entier sous perfusion, il serait bien plus logique de construire un système de performance logistique qui permette aux petits commerces de retrouver des marges de manœuvre face à Amazon et consorts.
En tout cas, je pense qu’il faut se retenir de focaliser le débat sur quelques projets seulement. Il est toujours difficile de faire accepter un entrepôt et un flux de camions à l’échelle locale, même s’ils améliorent la performance de la logistique à l’échelle globale… Il est essentiel de repositionner les intérêts locaux dans une stratégie plus globale.
Inlassablement, il faut sortir du tout blanc ou tout noir. Il n’y a pas des gentils et des méchants. Être anti-camion et anti-entrepôt, ce n’est pas être dans le camp des gentils. Dire cela conduit inexorablement à détruire de l’activité et supprimer des emplois.