Basé à Bordeaux, James Rebours est Directeur du Développement, de l’Innovation et de la Performance de la Supply Chain de Cdiscount (filiale du groupe Casino). Il raconte la genèse de la démarche d’Open Innovation du groupe.
Soutenir les priorités du groupe
En 2017, Cdiscount commence à se constituer un écosystème d’innovation, pour soutenir les priorités stratégiques du groupe :
- Garantir un excellent niveau de service client
- Optimiser les conditions de travail des opérateurs
- Assurer un développement respectueux de l’environnement
Sur ce dernier sujet, James Rebours énumère les actions mises en place depuis quelques années : « matériaux FSC, encres végétales, remplacement du plastique par du carton, réduction des suremballages »… Premier e-commerçant européen à investir dans une emballeuse 3D, la CVP-500, Cdiscount revendique ainsi 30% de vide en moins sur l’ensemble des expéditions, soit une réduction de 10 000 camions par an. Comment ces innovations se sont-elles développées ?
Plusieurs approches de l’innovation
Pour mettre en musique sa démarche d’innovation, Cdiscount dispose tout d’abord d’une « POC Factory » (atelier de prototypage), dont l’objectif est de tester rapidement des solutions « sur étagère », déjà développées. Après un repérage des technologies ou services les plus prometteurs, ce sont quinze concepts par an qui accèdent à une mise en pratique grandeur nature. Ils disposent de six mois pour faire leurs preuves avant un éventuel déploiement. L’année dernière, sur les quinze projets testés, dix ont pu être déployés.
C’est le cas de quelques technologies assez classiques comme le put-to-light ou les robots filmeurs de palettes, ou encore de concepts plus originaux, comme ces remorques inter-sites, électriques et sans permis, qui permettent d’économiser la main d’œuvre rare des chauffeurs livreurs. Certaines innovations s’arrêtent malgré tout à l’étape du test : c’est le cas de la dépose des colis à domicile avec serrures connectées, ou encore de la livraison par drone, qui se heurte encore à de nombreux obstacles réglementaires et sociétaux.
A côté de la POC Factory, un incubateur Supply Chain, « The Warehouse by Cdiscount », permet de coconcevoir des systèmes totalement nouveaux, main dans la main avec des start-ups. Une méthodologie en « Test & Learn » permet de transformer rapidement leurs idées en produits commercialisables. Les candidatures sont nombreuses ; seules cinq positions sont ouvertes chaque année à Bordeaux.
Lorsque le développement est réussi, Cdiscount déploie la solution en interne. James Rebours précise que l’entreprise ne devient pas nécessairement actionnaire majoritaire de la start-up, et lui laisse donc la possibilité de se développer également en externe. Les exemples de start-ups incubées sont nombreux : Nomagic (système robotisé de pick & pack par IA), EZ-wheel (roue motorisée pour chariot de préparation), Ownest (tracking par Blockchain), LivingPackets (colis réutilisable)…
Enfin, dans une démarche de long terme, Cdiscount s’associe également à des acteurs académiques pour faire avancer la recherche et l’enseignement sur les thématiques auxquelles l’entreprise sera exposée à l’avenir. Le groupe Casino, dont Cdiscount fait partie, s’est ainsi associé, en 2019, à la création de la chaire « Supply Chain du futur » à l’Ecole des Ponts ParisTech.
Premier partenaire d’Exotec
La jeune pousse Exotec, qui développe un système d’AGV (Automated Guided Vehicules) tridimensionnels pour le stockage et la préparation de commandes, est emblématique d’une démarche d’Open Innovation réussie entre une start-up et un grand groupe. James Rebours en retrace l’histoire.
En 2016, une première rencontre est organisée entre Cdiscount et les fondateurs d’Exotec. Les petits robots qu’ils imaginent permettent d’envisager un stockage et une préparation de commandes à la fois agiles et flexibles, tout en gagnant en productivité et en ergonomie par rapport à un système conventionnel. Très vite, le projet séduit. Il suffit de cinq réunions pour décider d’un projet pilote, le tout premier pour Exotec. Un an plus tard, le prototype est sur pied : 3 000 bacs compartimentés, répartis sur 300 m² et desservis par 8 robots de la taille d’une valise cabine. Les robots se déplacent à 4 m/s au sol en toute sécurité, à l’abri derrière des grilles. Un WMS in-house permet de réorganiser en permanence le stock, de manière à éviter la saturation des allées et à optimiser le flux.
Le système tient ses promesses : comme pour tout système goods-to-man bien conçu, la cadence de préparation de commandes est fortement augmentée par rapport au picking manuel dans les allées. Commence alors la phase 2 : une implantation dans l’entrepôt Cdiscount de Réau, au sein d’une cellule de 3 000 m². Cette expérience grandeur nature, appliquée aux produits à rotation moyenne (« mid-tail »), dispose de 50 000 bacs pour 43 robots actifs. Grâce à une recharge rapide des batteries et à un faible ratio de robots par bac, le système n’est ni saturé ni embouteillé. La réussite de ce projet permet vite à Exotec de signer de nouveaux contrats, notamment avec Uniqlo, qui achète pas moins de 2 500 robots. Exotec a depuis déployé 13 projets dans l’hexagone et vient d’annoncer un troisième tour de financement de 90 millions de dollars.
Une stratégie par « petits pas »
Ces différents projets sont emblématiques d’une stratégie choisie par Cdiscount d’avancer de manière très agile, petit à petit. Grâce à un écosystème dédié, les innovations sont testées à petite échelle avant d’être généralisées. Les technologies sont ambitieuses et le risque d’échec est élevé, mais les conséquences négatives sont réduites grâce à la petite taille des projets. Ainsi le groupe peut soutenir plusieurs dizaines de nouveaux concepts en parallèle et sélectionner les meilleurs. Même si cette approche n’est pas généralisable à toutes les fonctions logistiques, qui nécessitent parfois de construire à plus grande échelle, elle a le mérite de favoriser l’expérimentation et le développement d’idées nouvelles. Au point de faire de Cdiscount un acteur majeur de l’innovation Supply Chain en France.